Pour la
6° fois, je repars vers la Guyane afin de finir mon enseignement pour la
formation continue en animation sociale et socioculturelle que le
Département Carrières Sociales a mise en oeuvre de l’autre côté de
l’Atlantique, depuis 2 ans maintenant, en collaboration avec l’Université du
Campus Saint-Denis. C’est une belle aventure pédagogique que j’ai eu
l’honneur et le plaisir d’initier avec le soutien des collègues, lors de mon
mandat de chef de département et qui se prolonge avec ma successeure,
Clotilde de Montgolfier, puisque une 2° promotion est en route pour 3 ans
encore.
Cette
fois-ci, je suis en compagnie de Mireille, mais mon enthousiasme est
amoindri par l’interruption de la préparation du colloque que cela
occasionne, par la fatigue accumulée et la nouvelle que cela implique, ainsi
que la surcharge que cela va entraîner, puisque au-delà de mon enseignement
de 20 heures, je dois assumer 8 jurys de rapport de stage.
Les 2
premiers jours me paraissent pénibles, car la chaleur est lourde,
inhabituelle pour cette saison, disent les autochtones, cette modification
étant intégrée dans les changements climatiques de ce continent.
Il va
nous falloir dormir avec la fraîcheur de la climatisation et son
ronronnement, entrecoupé de moments de silence jusqu’au redémarrage
nécessaire du moteur avant que le chaleur ne me mette en nage (Mireille est
plus à l’aise que moi dans cette météo).
Samedi
12 octobre.
Nous
partons vers le sentier de Rorota dans le secteur de Remire-Monjoly, à
quelques kms. de Cayenne. Il s’agit du
Mont Mahury (162 mètres) : le chemin y décline une boucle qui se déroule
près d’un petit rio et de plusieurs retenues d’eau alimentant en eau potable
les environs. 2 heures de balade au milieu des oiseaux, de cascades et de la
forêt. C’est ici que, l’an passé, nous étions allés, Jean-Luc Richelle et
moi, mais un peu tard. Nous avions été obligés de rentrer, surpris par la
tombée du jour, et je me souviens que mon collègue n’était pas vraiment
rassuré, la nuit n’étant percée que par les trouées momentanées des
lucioles, au milieu des bruissements et des lianes ou feuilles que nos têtes
accrochaient ici ou là.
http://perso.wanadoo.fr/redris/HTML/Fleuve.htm
(les fleuves de Guyane)
Puis,
nous allons dans un restaurant chinois que je connais depuis Mai, grâce à
mon pote Etienne de la DRDJS (salut à toi désormais de retour en métropole),
où nous mangeons de l’excellent mérou. Ensuite, repos.
Dimanche
13 octobre
Nous
partons vers l’Habitation
Vidal dans les environs de Remire-Monjoly. Après avoir repéré les lieux
la veille (en vain), nous arrivons à trouver le sentier qui mène à cette
ancienne exploitation agricole (pour la canne à sucre) du 19° siècle. En
effet, comme presque toujours en Guyane, tantôt les indications des guides
ne correspondent plus à la réalité du terrain, tantôt les panneaux
directionnels (avec le toucan comme symbole) ont disparu dans la végétation
ou sont détruits par l’homme ou le climat. Il y a un gros problème de
signalisation dans ce pays : attirer le touriste signifie un changement de
comportement, sinon les efforts seront vains.
http://www.guyanetourisme.com/fr/crand.htm
La
promenade (2h) est superbe dans une forêt à couper le souffle, avec des
oiseaux partout et nous nous attardons sur les bruits qui montent des
sous-bois (cochons sauvages, agoutis, iguanes, lézards) ou descendent des
arbres ; par deux fois nous admirons une colonie de petits singes (30 à 40),
accompagnée de quelques babouins. Les restes de l’exploitation (broyeurs de
canne, marmites en fonte, fours, sont envahis par la végétation. Tout
rouille et se disperse, abandonné par l’Homme à une disparition proche.
Effacement de la mémoire d’une très importante colonie d’esclaves ? Après
celle du bagne des annamites dans le même état).
Puis
nous prolongeons la visite par un chemin non indiqué sur les cartes et qui
serpente dans la forêt : au bout d’un quart d’heure, Mireille, pas très
rassurée, me demande de faire demi tour.
Direction le
barrage du Petit Saut (après Kourou), que Mireille ne connaît pas. Ce
barrage EDF qui alimente la Guyane en électricité a inondé une partie de la
forêt et est devenu un lieu de détente (mais aussi de passages de
clandestins arrivés du Brésil), avec des carbets pour le week-end dans les
bras du lac et des rotations de pirogues pour ceux qui retournent dans les
villages de l’intérieur aux abords des berges de cette importante étendue
d’eau.
Au
retour, nous apprenons que le collègue Eric Gallibour attend depuis 2 heures
de temps à l’aéroport que quelqu’un de l’hôtel vienne le chercher : nous y
allons !
Lundi
14 Octobre.
Arrivé
à l’Université de
Cayenne vers 7h30 du matin, j’apprends que les étudiants n’ont pas été
prévenus de mon enseignement pour cette semaine ! Tout avait pourtant été
organisé depuis Bordeaux, mais il semble qu’ici tous ont été obnubilés par
les jurys de rapports de stage et ont occulté involontairement le reste. Il
faut avertir les stagiaires par téléphone pour qu’ils soient présents le
lendemain à 8h.
Eric
et moi (ainsi que des professionnels), nous commençons les jurys ce lundi
comme prévu. Le soir à l’hôtel un punch spécial permet de fêter mon
anniversaire : 61 ans. Je n’ai plus toutes mes dents, mais j’ai encore du
mordant !
Mardi
15 octobre.
8h :
les stagiaires sont presque tous là. Je préfère cependant annoncer
l’annulation de l’évaluation prévue, compte tenu de la situation
exceptionnelle qui n’est pas de leur fait, des absences annoncées et
excusées, même momentanées, de certains (femmes enceintes, gardes d’enfant
difficiles, départs en avion déjà retenus pour l’intérieur).
Je les
considère cependant comme très attentifs tout au long de la semaine. Que de
progrès accomplis depuis le début de cette formation, il y a maintenant 2
ans ! Cela fait plaisir au pédagogue que je suis, de même que le démarrage
d’une nouvelle promotion en Novembre de cette année, marquant ainsi plus
profondément encore l’existence de ce DUT animation en Guyane.
Mardi
après-midi, Mireille et moi emportons le casse-croûte pour faire une balade
à Matoury (12 kms
de Cayenne) sur le sentier de la Mirande (ancienne usine en ruine). Il
s’agit d’une réserve naturelle dans une magnifique forêt située sur un mont
de 243 mètres, point le plus haut entre l’Amazone et l’Orénoque. Des
arbres tropicaux qui ont pour noms ficus, fromagers, inguipipa, etc. Des
papillons, des oiseaux bien sûr. Et une petite rivière qui longe un moment
le sentier absolument chantante et charmante. Par instant, à l’inverse,
devant l’immensité et des arbres dont certains auraient plus de 200 ans, on
est replongé dans Fitzcarraldo, Mission ou Aguirre.
Le
soir, nous allons coucher au camp Patawa, auberge forestière à 60 kms de
Cayenne. On dort au milieu des cris de la nuit sous une immense moustiquaire
et bercés par les ronflements multiples de plusieurs ornithologues : ils
chassent de nuit (les insectes), mais se relaient dans les chambres
alentour, lesquelles ne sont séparées du dehors et des autres locataires que
par des planches et des grillages pour éviter des visites dérangeantes.
Mercredi
16 Octobre.
On
part pour la journée dans le
marais de Kaw en
pirogue avec une quinzaine de touristes. Visite d’abord du village de Kaw,
60 habitants qui vivent essentiellement de la pêche et refusent pour le
moment toute route directe vers Roura. Ils ont juste une piste de 4 kms aux
alentours. Le village comptait avec les esclaves près de 1000 habitants au
19° siècle et 200 en 1950.
Près
d’une maison sur deux est en mauvais état, la propreté n’est pas à la
hauteur de la réputation du village qui peut accueillir des touristes et des
chasseurs (mais pas n’importe quoi, ni n’importe où, ni n’importe quand). IL
y a un café, un restaurant, une épicerie, des gîtes, dont un municipal.
Puis, c’est le départ dans le marais avec une heure de pirogue vers un
carbet flottant où nous déjeunons d’un poulet boucané. Des oiseaux de toutes
sortes partout, des anguilles électriques, des piranhas, des feux sauvages
dans les savanes (pour des raisons agricoles dit-on, mais il n’y pas
grand-chose par ici si ce n’est des élevages de zébus).
Nous
restons ainsi à nous promener dans le chenal jusqu’au retour vers 17h30.
Cette
région est connue depuis sa colonisation au 17° siècle, mais toutes les
tentatives d’implantation de cultures (cacao, sucre, thé) ont fini, pour une
raison ou pour une autre (Révolution française et fuite des nobles, fin de
l’esclavage, échec de grands travaux d’aménagement style polders).
Nous
rentrons fatigués et colorés de coups de soleil. Mais Mireille est aux
anges.
Jeudi
17 et Vendredi 18 octobre.
Cours
et jurys tout au long de ces 2 jours. De son côté, Mireille attend Sandra,
jeune surinamienne qui fait un CAP de couture et que nous avons pris comme
stoppeuse il y a un an et demi du côté de Mana .Elle correspond avec nous et
nous l’avons revue chez elle il y a un an. Elle ne connaît pas Cayenne :
Mireille lui fait visiter la ville. On lui a pris une chambre à côté de la
nôtre : c’est aussi une première que d’être dans un hôtel avec piscine. Elle
nage bien. Ah ! Les vertus de l’école républicaine. Sandra est ravie de
l’aventure. Elle rentrera samedi à Mana. Elle est volontaire et veut
poursuivre vers un BEP. Elle est porteuse de grands principes moraux. Son
père a fui la guerre civile au Surinam, il y a plus de 10 ans et c’est un
adepte de la secte protestante des évangélistes, qui exige une grande
rigueur morale de ses filles. Les frères, c’est autre chose : l’un a 4
enfants avec 4 femmes différentes. Mais il faut dire (pour ceux qui seraient
étonnés) que leur culture n’est pas la nôtre. En particulier le mariage est
rare.
Samedi
19 octobre.
Je
fais mon enseignement le matin, puis je retrouve Mireille, Sandra et Eric au
marché où nous mangeons chez un chinois (moi du poulet laqué). Dans la nuit
de jeudi à vendredi, j’ai été malade comme un chien crevant, avec des
diarrhées subites et répétées. J’ai sûrement mangé une saloperie avec une
colonie microbienne qui me ronge les boyaux ! De plus j’ai une énorme
bouffiole à la fesse droite : je me suis fait piquer (par une araignée
vraisemblablement) pendant une promenade en forêt en short ou dans le marais
de Kaw.
La
situation de la Guyane est toujours aussi complexe : une immigration
clandestine qui se poursuit, une augmentation de la population de plus de
5.000 personnes par an depuis 10 ans (population globale environ 160.000
habitants) qui fait que les services publics (écoles, transports, routes,
habitat, etc.) ne suivent pas. Notre collègue recteur Bellegarde a de
nouveau des difficultés avec les syndicats d’enseignants et les
organisations de parents d’élèves qui ne veulent plus discuter avec lui, lui
reprochant son immobilisme, son absence d’écoute et son autoritarisme. Il
avait déjà eu une grève dure il y 2 ans.
Des
faits divers sordides augmentent le sentiment d’insécurité : un enseignant
arrivé de métropole dans un lycée de Cayenne a été assassiné sans raison
apparente par un jeune 15 jours après son arrivée.
Les
résistances locales au changement des élites locales (en particulier des
riches créoles) lassent les plus dynamiques, ce qui accélère une
accélération des mutations vers la métropole. On sent bien du découragement.
La
base de Kourou (poumon économique de la Guyane) serait en difficulté, car il
y a désormais moins de commandes de fusées pour satellites étant donné la
crise mondiale et la venue du projet Soyouz est désormais repoussée, compte
tenu de l’accident récent en Russie. L’administration est décriée, car par
exemple elle exige (selon les règlements métropolitains appliqués bêtement)
que les carbets aient des sorties de secours pour être homologués comme
logements ou gîtes collectifs !
Et
c’est vrai qu’en même temps il existe des énergies, des ressources, une
jeunesse importante et donc des potentialités pour demain. Notre département
Carrières sociales de l’IUT participe avec ses moyens à ce développement
durable tant vanté par les uns, mais réalisé par les autres dont nous
faisons partie
. Et
pendant ce temps plus au nord, au Venezuela, les confrontations se
multiplient ainsi que les manifestations monstres (plus de 1 million de
personnes pour Chaves et autant contre). Et au Brésil un Lula plus
réformiste désormais et plus conciliant semble-t il avec le FMI remporte le
1° tour des élections au sud de la Guyane, de l’autre côté de la frontière,
au Brésil. Le colosse aux pieds d’argile va-t-il tenir avec une Bourse et un
réal en baisse continue ?
On
décolle vers 18h. de Cayenne. Voyage sans histoire (si ce n’est le mal à la
fesse sur ces sièges inconfortables et plus de 5 heures d’attente à
l’aéroport d’Orly parce que le vol Bordeaux-Paris prévu a été supprimé ! Ce
sont des enfoirés ! Là, Air France tu charries !).
Nous
reviendrons en Guyane en Mai.
Pensée
du jour : «Dieu a partagé, la preuve : il a donné la nourriture aux
riches et l’appétit aux pauvres». Pierre Desproges.
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